Traditions suèdoises : La fête de l'écrevisse

SOUS LE SIGNE DE L’ÉCREVISSE
par Thérèse Eon et le Francofil'
Elles ont leur place dans le calendrier des fêtes suédoises le 7 août, jour de l’ouverture de la pêche à l’écrevisse au temps de l’interdiction qui protégea l’espèce contre la fringale des amateurs.

C’était à la fin du XIXème siècle. La bourgeoisie suédoise avait découvert la chair fine de ce crustacé d’eau douce, consommé pendant les siècles précédents uniquement par les paysans, les soirs d’été après les travaux des champs, au cours de repas pris en commun. Les écrevisses étaient devenues, dans cette classe bourgeoise, une délicatesse.

Des groupes partaient de nuit dans des bateaux pour la pêche au flambeau. On en consommait beaucoup, on en exportait aussi vers les restaurants de Paris, de Londres et de Berlin...jusqu’à ce que la bureaucratie suédoise limite la pêche à une période qui recouvrait la fin de l’été et le début de l’automne et débutait le 7 août. Il fallait bien fêter ça !

En 1907 sévit la ”peste des écrevisses”. Les lacs suédois sont contaminés l’un après l’autre et l’espèce de l’écrevisse suédoise , réputée pour sa qualité, s’éteint. À tout jamais, car les essais de transplantation d’une écrevisse américaine dans les eaux suédoises, s’ils ont réussi à repeupler les lacs, n’ont pu retrouver la qualité primitive du crustacé. La nouvelle espèce produite fournit cependant aux tables suédoises des pièces appréciées. Les écrevisses importées, d’abord de Turquie, puis d’Amérique, de Chine et d’Espagne, sont venues en renfort pour satisfaire à la demande des suédois qui est énorme : 2500 tonnes par an ! Elles sont moins chères mais de qualité inégale.

La consommation de l’écrevisse en Suède a les allures d’un rituel collectif, qui consolide les cellules de la société. Par une soirée tiède du mois d’août, sous les lampions et le sourire un peu niais d’une lune de papier qui donne à la réunion, dénommée , un petit air de carnaval, le suédois ”se déboutonne”, les ”skål !” fusent, les rires, des chansons peut-être :Helan går, la coupe circule...

L’aquavit parfumé (au cumin, au cassis) remplit les petits verres prévus à cet effet et la bière n’est pas loin. L’écrevisse est la reine, le plat unique, le thème de la table garnie d’un bouquet d’aneth, l’épice dans laquelle on l’a fait cuire.

Elle imprime ses arabesques sur la nappe, les bavettes, les assiettes et les serviettes en papier; sa couleur rouge est encore rappelée par le bataillon de petits couteaux avec lesquels les invités vont la démembrer avec des gestes précis, ritualisés, la sacrifier en sorte, extirper, sucer, aspirer la substance même de cet animal dont le corps - cuirasse, pinces et antennes - a quelque chose d’insolite, voire même d’un peu inquiétant.

Sortie du silence des fonds lacustres, l’écrevisse, comme sa cousine la langouste, titille l’imagination. Sur le mode humoristique, Guillaume Apollinaire l’a fait entrer, chaussée de quatre octosyllabes, dans son Bestiaire Incertitude, ô! mes délices.

Vous et moi nous nous en allons À reculons, à reculons Une musique de Francis Poulenc souligne ironiquement les grâces un peu particulières de l’animal lorsqu’il nage. Enfin, pour en finir avec l’écrevisse, l’expression populaire ”avoir une écrevisse dans la tourte” signifie ”être mentalement dérangé” (TLF).Thérèse Eon

0 Réaction:

Commentaires Laisser un Commentaire

Actualités de Suède | Nord Quotidien Info - Copyright 2010 - Les articles sont la propriété du journal online. Toute reproduction sans autorisation est interdite.