A visiter : Le manoir d'Ekolsund

visiter_manoir_EkolsundPar Jean-Paul Pouron
En termes d’habitations seigneuriales, il ne s’agit pas de confondre Château en Suède et châteaux en Suède, pas plus qu’en littérature Sagan et sagan.

La pièce de Françoise Sagan se déroulait en Suède, dans un château isolé du monde, à la fin des années 1950. À l’époque, la Suède était encore un pays très exotique et ses châteaux pratiquement inconnus du public français. Sont-ils plus connus de nos jours ? Pas sûr ! Et pourtant ils sont légion sur le pourtour du lac Mälar et dans les provinces qui jouxtent Stockholm. Des centaines de châteaux, forteresses, castels, manoirs, gentilhommières et autres résidences qui valent le détour. Souvent classés, ils sont parfaitement entretenus et restaurés et appartiennent en majorité à des particuliers qui, pour en assurer la charge, les font visiter et les transforment en relais château, centre de conférences et autres.

Le manoir d’Ekolsund, près de Enköping, à environ 70 kilomètres au nord-ouest de Stockholm, château « favori » de Gustav III au 18e siècle, vient d’être racheté par une nouvelle châtelaine, Raija Ohlin, qui a décidé de tout rénover à l’identique. Suivez le guide !

La propriété d’Ekolsund, située à une dizaine de kilomètres à l’est de Enköping dans la province du Uppland, borde la réserve naturelle de Hjälstaviken, paradis des ornithologues. Le manoir comporte deux bâtiments en L relié par un troisième demi-circulaire, une sorte d’exèdre.

La présence d’une demeure à caractère royal sur le mamelon qui domine l’actuel parc remonte au 14e siècle. D’abord propriété de différentes familles de lignée noble, Blå (Magnus Knutsson),Oxenstierna (Bengt Jönsson) et la Maison Tott (Åke Axesson), Ekolsund, après confiscation, revient à la couronne au 16e siècle sous Gustav Vasa. En 1618, le maréchal Åke Tott se voit attribuer la propriété par Gustav II Adolf et confie alors à l’architecte Simon de la Vallées, le soin d’ériger l’aile Nord du château sur les fondations du bâtiment datant du 16e siècle. Son fils, Clas, revendra le manoir à Magnus Gabriel de la Gardie dans les années 1650. Sous la direction de l’architecte Jean de la Vallées, parc et bâtiment prennent tournure. En 1661, Clas Tott rachète son bien. Il engage alors Nicodème Tessin pour la réalisation de l’aile sud et du parc (Le Nôtre pourrait l’avoir conçu !). L’inspiration française des deux bâtiments et du parc était dans l’air du temps.

Coup de théâtre sous Charles XI, la « Réduction » oblige les nobles à se départir de leurs terres qui reviennent à la couronne. En 1716, Ekolsund échoit à Frédéric de Hesse-Cassel qui deviendra Frédéric 1er en 1720. C’est à l’architecte Carl Hårleman qu’est confiée en 1730 l’harmonisation architectonique des façades des deux ailes. C’est aussi lui qui fera ajouter l’exèdre complétant l’ensemble qui abritera des écuries en face de la cour d’Honneur.


À l’aube de l’ère de la liberté, Ekolsund est cédé à l’héritier du trône, Adolphe Frédéric de Holstein-Gottrop, père du futur Gustav III, le régent francophile qui remplaça le régime parlementaire par sa propre autocratie royale. Le jeune prince Gustav passera beaucoup de temps au manoir d’Ekolsund, son « château favori ». Le monarque avait mandaté l’architecte et baron Carl Fredrik Adelcrantz pour l’édification d’une immense scène de théâtre entre les deux bâtiments. Ce projet ne verra jamais le jour. En revanche, Adelcrantz et Jean Eric Rehn, un autre architecte à la Cour, procédèrent à une restauration musclée de l’intérieur du manoir, où de grandes fêtes royales y furent fréquemment données.

On a beau aimer les choses, régaliennes ou pas, on peut s’en séparer, à preuve, la propriété royale est vendue en 1785 à un riche négociant écossais récemment anobli, George Seton. Les Seton y vivront jusqu’en 1912.

En pleine Première guerre mondiale, en 917, Carl Kempe, magnat de l’industrie forestière, tennisman à ses heures et grand collectionneur de poteries (porcelaines, céramiques, etc.) rachète le domaine. Il procédera à la fin des années 1920, sur les conseils de l’architecte Vilhem Bryde, à la restauration et à la modernisation de l’aile Sud. Il créera également un arboretum où il fera planter diverses essences (quelque 160 !). Ses héritières cèderont la propriété en 2002 à Raija Ohlin. Dans l’intervalle, en 1969, le manoir sera classé monument historique.

Une vie de château !

Lorsque Raija Ohlin acquiert Ekolsund, le manoir est en piteux état. Les meubles ont été dispersés, les toits fuient, les murs suintent, le parc est à l’abandon… une rénovation en règle et rapide est nécessaire pour la mise en valeur de la propriété. La châtelaine, qui a déjà procédé à d’autres restaurations de châteaux en péril dans la région et qui vibre littéralement pour la sauvegarde du patrimoine, décide de miser à fond pour redonner vie à ce joyau du 18e siècle. Deux sociétés sont créées : Ekolsunds Slott AB et Ekolsunds slotts Wärdshus AB, ainsi qu’une fondation : Ekolsunds Slott och Park.

C’est par une ancienne auberge classée (1985), attenante au manoir, qu’elle commencera. Ce bâtiment de la fin du 18e siècle, qui a servi par ailleurs de relais de poste était dans un piètre état. Dix mois suffiront à son entière restauration ! C’est aujourd’hui de nouveau une auberge (grand luxe) avec sa cave voûtée d’origine qui abrite une source, ses salles à manger et ses chambres claires au goût raffiné. L’ossature bois a été préservée, les madriers empilés assemblés à queue d’aronde en parement des parois intérieures sont du plus bel effet. L’auberge est en contrebas du manoir, au bord de l’ancienne route Stockholm-Enköping, sa table y est fort digeste…

L’aile Sud du manoir est en pleine rénovation. Les chambres qu’occupait le couple Kempe ont retrouvé leur cachet art déco des années 1930, tapisseries couleur miel, literies et placards en bois précieux, luminaires d’époque… Sans être absolument d’origine, les offices n’en sont pas moins authentiques et fleurent les bonnes maisons bourgeoises. Le sceau royal de Gustav III sur les portes des placards atteste de l’époque…

Aux étages, la salle des Chevaliers, pièce de quelque 150 m2 d’un seul tenant, témoigne du faste qu’a dû connaître le manoir à ses heures de gloire. Les hautes croisées à petits bois à la française et la magnifique cheminée confèrent à ce salon son caractère festif. Détail piquant : la Divine, Greta Garbo, a laissé un graffiti de sa présence dans cette salle des fêtes en 1925, il sera préservé.

Autre pièce remarquablement conservée, Fågelsalen, le salon aux oiseaux. Les papiers muraux peints à la main, dont les oiseaux sont le principal motif décoratif, sont signés Lars Bolander, peintre à la Cour au 18e siècle. Autre détail pittoresque, Gustav III a gravé au canif sur le montant d’une croisée une inscription indiquant qu’il « revenait de la révolution en 1791 ! ». Il mourra un an plus tard, en mars 1792, assassiné lors d’un bal masqué donné à l’Opéra de Stockholm.

De vestibules en living-room et en salle de billard restaurés, le manoir retrouve petit à petit son caractère gustavien (néo-classicisme), l’équivalent français, en plus épuré, du style Louis XVI.

C’est au dernier étage que les interventions sont les plus marquées. C’est en effet là, que des chambres pour les visiteurs sont aménagées. L’objectif de Raija Ohlin est non seulement de restaurer le manoir pour la postérité mais également d’en faire une activité rémunératrice. Pas de châteaux en Espagne pour la châtelaine ! Ekolsund vise ainsi à devenir un centre de conférences et de recherches pour des activités liées à la santé, mais aussi à certaines époques, un lieu de rencontre pour chasseurs, une sorte de pavillon de chasse – des propriétés avoisinantes étant des réserves de chasse.

« Le confort moderne oblige certes à certaines concessions – eau courante, bain, chauffage, téléphone, haut débit, etc. Nous essayons autant que faire se peut de préserver l’intérieur du manoir à l’identique, mais pas question de radiateurs le long des murs, de fils électriques ou de tuyaux d’eau apparents… », indique de manière ostensible la châtelaine.


La restauration d’édifices classés monuments historiques ou inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques est soumise à des règles et contraintes drastiques. « Toutes transformations, changements, interventions doivent être soigneusement consignés avant d’être présentés à l’office des monuments historiques. Ils sont pointilleux et ont raison de l’être mais ne sont pas impossible, constate Raija Ohlin. Le seul problème avec cette administration, c’est leur lenteur… Ils ont l’éternité pour eux ! »

Ce sera ensuite au tour de l’aile Nord de subir un lifting. La cave de ce bâtiment comporte une immense cuisine en terre battue avec ses fours à pain, cheminées, fourneaux, passe-plats, monte-plats, etc., on imagine aisément les ripailles qui s’y sont déroulées… C’est dans cette aile que seront aménagées les salles de conférences, bureaux et autres saunas et spa. L’exèdre (les anciennes écuries), après réfection, abritera des chambres à coucher. Un ancien chenil est en passe de rénovation et est destiné à accueillir les touristes de passage visitant le manoir, le parc et l’arboretum. L’orangerie sera également remise à niveau et à contribution, quant au jardin potager et au verger (dont les origines remonteraient à 1630 !), l’enclos carré sera de nouveau cultivé.

À tire d’aile de la réserve naturelle


À l’instar du parc du château de Drottningholm, le manoir d’Ekolsund (quelque 340 hectares) est composé d’un jardin à la française et d’un parc à l’anglaise traversé par un canal « plus large que celui du parc de Versailles », fait remarquer fièrement Raija Ohlin. Destiné à alimenter les pièces d’eau du parc à la française, le canal a récemment été nettoyé et recreusé. La remise en état à l’identique du parc entre dans le cadre d’un projet européen. Parmi les milliers d’arbres de la propriété, les 161 d’essences diverses, dont de nombreuses exotiques, se sont bien acclimatés sur l’arboretum de ces terres circumpolaires et font le bonheur des dendrologistes.

La proximité de la réserve naturelle de Hjälstaviken et ses oiseaux, site classé, renforce cette impression de nature originelle. C’est à Gustav III, non seulement grand protecteur des arts mais également amateur d’oiseaux, que l’on devrait la présence des cygnes dans le parc !

Dès le printemps, on peut se rendre (en groupe) à Ekolsund depuis Stockholm, en bus ou en bateau, pour une visite guidée comprenant un aperçu historique de l’époque gustavienne, un déjeuner à l’auberge d’Ekolsund, une visite du manoir, du parc et de son arboretum (avec un copieux panier pique-nique pour le quatre-heures –paniers d’osier !), suivi en soirée d’un dîner à l’auberge. JPP

La saga de ce château en Suède aurait pu servir de trame au Château en Suède de la Sagan !

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