A visiter : le manoir Häringe

visiter le manoir Häringe
Pour le Robert, le manoir est un logis seigneurial, une gentilhommière, souvent situé à la campagne, alors que le château serait une habitation seigneuriale ou royale acquise par l’achat de charges, souvent fortifiée et défendue par un ensemble de fossés et de constructions. Grosso modo, cette définition s’applique aussi au manoir (herrgård) et au château (slott) suédois.

Häringe est un château aux allures de manoir. Situé à 35 km au sud de Stockholm sur la E 73 en direction de Nynäshamn, on peut s’y rendre aussi en train de banlieue et bus* (une occasion de se familiariser avec les transports en commun suédois), mais également en bateau (trois heures depuis la capitale).
L’histoire du domaine remontrait au 4e siècle ! Les sagas islandaises ont la vie dure ! En 1006, Olav Haraldsson, Saint Olav soi-même, voulant venger son père, le roi norvégien Harald Grenske, attaque avec sa flotte de drakkars, le Viking suédois Sote dans la baie de Sotaskär au large de Häringe. La légende veut que Sote, défait par une armada supérieure, coule son drakkar. Trois navires vikings gisent au fond du pertuis dans l’axe du château. Le fort de Sote (ruines encore visibles) serait la première bâtisse du domaine de Häringe.
Les châtelains vont se succéder : le roi Stenkil et ses descendants ; le roi Magnus Ladulås ; l’évêché catholique de Strängnäs durant plus de deux cents ans ; le régent Sten Sture ; le roi Gustav Vasa (pour la position stratégique du pertuis dans l’archipel) ; le conseiller du roi, Peder Olofsson Hård ; un autre conseiller du roi, Johan Pedesson Bååt, fera de l’endroit, un hôpital militaire pour les marins ; le roi Johan III ; le duc Magnus et ses frères ; le roi Gustav II Adolf qui le cède au comte et maréchal du royaume Gustav Horn qui fait raser la bâtisse en bois et ériger une construction en briques au milieu des années 1600, celle-là même que l’on voit de nos jours ; les enfants Horn, Agneta et Axel et leurs descendants ; le baron et colonel Gustav Cruus assistera à l’incendie partiel du château en 1690 ; Fabian Wrede et sa femme Agneta ; le conseiller du roi Fredrik Ier et maréchal du royaume Magnus Julius de la Gardie ; son fils Karl Julius de la Gardie ; le baron et général de division Fabian Löwen et sa descendance ; le baron August Trolle Löwen hérite de Häringe en 1896.
La finance au service des aspirateurs
C’est là que l’histoire des propriétaires prend un tournant passionnant. August Trolle Löwen, suite à un pari ridicule ou une dette de jeu, on ne sait pas trop, perd son château en 1929. La même année, Thorsten Kreuger, le frère du « roi des allumettes », Ingvar Kreuger, lui-même financier et magnat de la presse, acquiert le domaine. Il fait procéder à sa rénovation de fond en comble et fait notamment construire un tunnel sous une aile du château qui mène à une piscine découverte (la première en Suède aux dimensions olympiques de l’époque) pour que les dames n’attrapent pas froid en sortant du bain ! Autre réalisation surprenante : un toboggan partant de la salle de bains du premier étage arrivait directement dans le bassin ! Il fait installer un bowling avec retour automatique des boules. Des ébénistes allemands réalisent un meuble grandiose en chêne (marqueterie, figurines), une armoire haute dessinée par Ragnar Östberg, l’architecte responsable de la construction de l’Hôtel de ville de Stockholm, équipée d’un réfrigérateur (nous sommes en 1929 !) pour garder les bières du châtelain au frais. Il est à l’origine du parc, de l’entrée avec son imposante grille, de son pavillon de chasse, etc.…
1932 sonne le glas de l’empire Kreuger. Ingvar se « suicide » à Paris. Ses ennemis (et ils sont légion) dépècent son capital. Son frère Thorsten, qui avait commis des faux en écriture, est tenu de vendre Häringe. Il le cède en 1934 au roi, entre autres, des aspirateurs et des réfrigérateurs suédois, Axel Wenner-Gren, « monsieur Electrolux ».
C’est en fait la femme d’Axel Wenner-Gren, Marguerite Gauntier, sœur de l’actrice américaine Gene Gauntier, qui tenait à posséder Häringe comme résidence d’été. Le couple investira énormément, tant dans la déco intérieure (il reste malheureusement peu de choses) que dans le parc.
Le château devient alors un rendez-vous des célébrités de l’époque : Greta Garbo (dont la chambre est préservée), Josephine Baker (idem), Danny Kay, Elizabeth Taylor, Zarah Leander et consorts.
Axel Wenner-Gren était un self made man intéressé par des tas de domaines d’activité : l’agriculture, l’arboriculture, la nature en général… il fera planter des centaines d’arbres exotiques et fruitiers, il fera construire d’immenses serres où l’on faisait commerce de fleurs ; il possédait aussi une ferme pilote où il élevait des bovidés pour le lait et la reproduction. Il réintroduira des cerfs et des chevreuils dans le domaine … pour la chasse.
Le magnat de l’industrie meurt en 1961. Marguerite reste quelques années à Häringe entourée de ses chiens (38 chiens sont enterrés dans la fosse commune à canidés), puis elle part pour le Mexique où elle s’éteindra en 1973, pratiquement ruinée. Le couple repose à Häringe.
La ruine du domaine est le fait d’un administrateur de biens véreux. Il fera huit ans de prison pour avoir littéralement délesté Häringe de tous ses trésors. La gentilhommière sera alors vendue aux enchères à Olle Hartwig en 1974 qui procède en suivant à une restauration des lieux. Un certain nombre d’objets ayant appartenu aux différents châtelains sont retrouvés par des antiquaires et réintègrent leurs places. Le domaine est aujourd’hui classé réserve naturelle.
Olle Hartwig, qui avait vendu son bien pour le racheter quelques années plus tard a finalement transformé le château en centre de conférence à la fin des années 1990. C’est aujourd’hui la famille Ljungberg, versée dans la construction depuis les années 1940 et la gestion de centres de conférence qui possède Häringe.
Frises, lambris et papiers peints
La demeure est cossue, mais on sent qu’il manque un certain nombre de maillons à la chaîne. L’aménagement intérieur est à la fois, autant que faire se peut, fidèle à ce qu’il a dû être par le passé et en même temps adapté aux activités de représentation et autres qui sont supposées s’y dérouler. Ce qui confère à l’ensemble un aspect patchwork, certes de bon ton, mais néanmoins hétéroclite.
La grille d’entrée est un chef d’œuvre de ferronnerie d’art. La façade du château reflète bien le classicisme architectonique épuré du 17e siècle en Suède. Sobre, un peu austère, parfaitement équilibré. La disposition des pièces est symétrique et fonctionnelle.
L’entrée du manoir, avec ses trophées qui parsèment ses murs et tout son bric-à-brac d’armures, pétoires, coutelas, dagues, épées, trompettes de cavalerie et cors donne l’impression d’un pavillon de chasse. Sentiment qui disparaît dès que l’on pénètre dans la salle basse principale. Pièce maîtresse : une colossale armoire dont les quatre battants sont décorés de figurines représentant la longue suite de châtelains qui se sont succédé à Häringe. Cuivres, porcelaines de Dresde et de Meissen, argenterie constituent le « fond de l’armoire ». Poutres apparentes, tapis… belle cantine ! Les offices ne se visitent pas, mais sont, à l’évidence, modernes.
Le bureau-bibliothèque d’Axel Wenner-Gren avec son plafond du 16e siècle, sert aujourd’hui de salle à manger. Pour rejoindre l’aile donnant sur la baie, érigée au milieu du 17e siècle par Gustav Horn pour sa famille, on peut emprunter le tunnel percé par Thorsten Kreuger. On débouche ainsi sur des caves voûtées : un cellier et un cachot ! De méchantes langues racontent que la valeur pécuniaire des vins amassés par Kreuger dépassait celle de l’achat du château par Axel Wenner-Gren !
Le rez-de-chaussée du corps principal abrite, outre une petite salle à manger annexe (cette pièce renfermait une piscine miniature du temps de Kreuger et de Wenner-Gren), une pièce dite gothique, habillée de panneaux de chêne du 13e siècle, ramenés par le magnat lui-même lors de l’un de ses voyages en Écosse, ainsi que deux autres petites pièces.
À l’étage, une cheminée en grès de 1657 de grande facture accueille le visiteur dans le vestibule du pallier ainsi qu’une tapisserie murale au point des Gobelins relatant l’histoire des châtelains de Häringe. Vendue à un collectionneur français en 1970, la tapisserie a pu être rachetée en 1987.
La salle haute, dite, des Dalles (20 tonnes de grès de Öland !), est la plus belle pièce du château. Le « salon des Vasa » convenait mieux aux Wenner-Gren. Peu importe, avec ses portraits de différents souverains, ses fauteuils recouverts de tissus d’Aubusson, ses tapis ouvragés et sa magnifique cheminée, c’est un endroit privilégié pour siroter un café en toute quiétude.
Le gothique flamboyant écossais était à l’évidence la tasse de thé des Wenner-Gren ! On retrouve panneaux et portes ouvragés du cloître de Linlithgow en Écosse dans la pièce haute gothique où quelques diablotins au plafond sont supposés protéger du mal ! L’endroit servait de cabinet au patron d’Electrolux qui écrivait son courrier sur la table signée d’un ébéniste batave du 17e siècle.
Boiseries écossaises également dans la « chapelle », une petite pièce attenante au bureau gothique, originellement un ancien cabinet de toilette. Lieu consacré aux mariages et autres baptêmes de nos jours…
Tout vrai château qui se respecte se doit de posséder un salon chinois. Häringe n’échappe pas à la règle. Ce sont les tentures murales de lin tissées à la main qui donnent le ton oriental, pas le mobilier. Grand portrait de la châtelaine Marguerite signé Nikolej Michalov, deux urnes en porphyre et une très belle pendule française dotée de figurines indiquant les phases de la lune et les mouvements du soleil.
La chambre de Marguerite Wenner-Gren est une vraie bonbonnière, rose et vieux rose dominant. Ciel de lit original. La châtelaine avait peur du noir. On raconte qu’elle installait une quarantaine de paires de pantoufles et de mules autour de son lit dans un ordre précis dont elle vérifiait dès potron-minet l’agencement. Aucun changement notoire dans l’ordonnancement ? La nuit avait été calme ! Armoire hollandaise baroque du 17e en noyer et autres essences de belle facture.
Madame n’avait rien contre le métal jaune, il dégouline de partout dans sa salle de bain (la robinetterie qui était en or à l’origine a été remplacé par un métal de même coloris mais plus clinquant). Les frises murales à la base du dôme tapissé de feuilles d’or représentent un safari en Indes (le couple avait prévu de se marier sur le sous-continent, la guerre les en a empêchés).
Les frises du dressing-room, elles aussi peintes à la main, reproduisent des têtes couronnées, célébrités, connaissances et amis du couple Wenner-Gren. On y trouve à la queue leu leu la châtelaine soi-même, August Strindberg, Marlene Dietrich, Greta Garbo, Charles Lindberg, le roi Gustav V, Josephine Baker, Napoléon Bonaparte et bien d’autres…
Le confort de la chambre et du cabinet de toilette du « dernier viking », nom dont aimait s’affubler Axel Wenner-Gren, est carrément spartiate. Où ne va pas se nicher l’originalité ?
Du côté de l’aile donnant sur le pertuis et le parc
Cette partie du château a été érigée vers 1650 par le comte Gustav Horn pour y loger sa nombreuse famille. Thorsten Kreuger et Axel Wenner-Gren y accueillaient, eux, leurs nombreux amis. Certaines chambres étaient même dédiées à des stars de l’époque, Greta Garbo, Josephine Baker, Zarah Leander (pro-allemande) et Karl Gerhard (chansonnier suédois anti-allemand). Elles ont toute leur particularité et valent la curiosité de les découvrir. Ah ! si les murs pouvaient parler !
Le parc est à l’anglaise. Ses pièces d’eau, arbres, statues, allées, massifs de fleurs relèvent d’un goût sûr pour le beau ; par surcroît, c’est désormais une réserve naturelle.
Häringe est un complément naturel à la découverte de la culture scandinave et à ce titre une destination recommandée pour la compréhension d’icelle.
Reportage et photos : Jean-Paul POURON
*Train jusqu’à Västerhaninge puis bus 847 direction Nynäshamn. Descendre à Häringe.
http://www.haringeslott.se/

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