A visiter : le chateau Steningeslott

steninge slott
Ce qui frappe en arrivant à Steningeslott, c’est la symétrie quasi obsessionnelle des bâtiments et du parc. Nicodème Tessin le Jeune, architecte des lieux, avait bien retenu les leçons de son père, Nicodème Tessin l’Ancien, itou architecte, qui réalisa, lui, entre autres, le Palais royal de Stockholm et le château de Drottningholm.


La situation du domaine de Steninge sur un terrain s’élevant en pente douce face aux eaux calmes du lac Mälar est particulièrement heureuse. Située non loin de Sigtuna (première « cité » érigée au 10e siècle), la propriété de Steninge n’a qu’un seul défaut, être trop près de l’aéroport d’Arlanda. Au 13e siècle, date à laquelle remontent les premiers vestiges d’habitat, les autochtones étaient loin d’imaginer que les nuisances sonores des plus lourds que l’air viendraient briser l’idylle champêtre.

La « maison de plaisance » de Steninge, au sens où on l’entendait au 18e siècle, est probablement l’une des plus accomplies de Suède. Une merveille de l’architecture baroque. Ce manoir, conçu pour être habité uniquement l’été, achevé en 1705, est aujourd’hui la propriété du Groupe norvégien, CG Holding, détenu par le couple milliardaire norvégien Linn et Atle Brynestad.

L’amour, toujours l’amour !

Carl Gyllenstierna, fils de Erik Karlsson Gyllenstierna hérite en 1667 du domaine de Steninge. À 19 ans, il est engagé comme chambellan de la reine douairière Edwige Eléonore de Holstein-Gottorp (veuve de Charles X Gustave). Élevé au rang de comte en 1687, le conseiller du roi, gouverneur général, maréchal et conseiller à la Cour des comptes, entreprend de faire construire le château. Bel homme, la reine ne restera pas insensible à ses charmes, bien qu’il soit dit que leur relation n’ait été que platonique (que pouvait-elle être autre eu égard à la plèbe ?). N’empêche, sans l’aide de la régente, Carl Gyllenstierna, malgré ses titres et ses biens, n’aurait jamais pu faire construire la résidence de Steninge. Le petit bâtiment de l’aile gauche du château servait d’appartement privé à la reine. On dit qu’un souterrain relierait l’aile de la Reine au corps principal du bâtiment (des travaux de rénovation seront engagés d’ici peu dans les sous-sols du grand bâtiment. La légende survivra-t-elle ?).

Carl Gyllenstierna épousera la richissime veuve Anna Soop en 1706 qui reçoit Steninge en cadeau de mariage.

En 1736, la famille de Fersen acquiert Steninge. Pour d’étranges raisons, le bien est constitué en fidéicommis en 1747. À la mort de son oncle, Carl de Fersen, en 1786, Hans Axel de Fersen (l’instigateur de la fuite de Louis XVI et selon toute vraisemblance l’amant de Marie-Antoinette) hérite de Steninge. Une propriété qu’il prisait particulièrement, tout comme Gustave III du reste qui s’y rendit souvent (la chambre à coucher du monarque a été restaurée à l’identique).

Axel de Fersen avait été sensible à l’aventure des amants Carl Gyllenstierna et Edwige Eléonore – liaison lui rappelant cruellement la sienne. Il note à ce propos : « La régente Edwige Eléonore, dont l’amant était Carl Gyllenstierna, a aidé à la construction de cette demeure. L’analogie me fait m’y attacher plus encore. »

Un service petit déjeuner offert par Marie-Antoinette à Axel de Fersen, marque de leur intimité, fait partie des quelques objets exposés.

1810, Axel de Fersen meurt, lapidé par la populace lors des funérailles du prince héritier Karl August. Sa dépouille restera quatre mois dans la chapelle sépulcrale de Steninge où sa sœur Sophie, mariée Piper, attend l’arrêt d’un jugement intenté contre elle et son frère, accusés, à tort, d’avoir empoisonné le prince héritier, pour l’inhumer avec décence (Axel de Fersen repose dans le caveau de famille dans l’église de Ljung). Elle fera élever des stèles commémoratives à Steninge (1813) et à Löfstad, le château où elle résidera, pratiquement en recluse, jusqu’à la fin de ses jours.

Un château sans ses mystères et ses fantômes n’en est pas un à part entière. Steninge n’échappe pas à la règle. Le mystère du trésor des de Fersen enfoui quelque part dans la propriété est bien vivace. Des fouilles ont été régulièrement entreprises, sans résultats… d’autres suivront…

Les nobles passent la main

En 1867, c’est le député, écrivain et surtout ingénieur du chemin de fer de plusieurs lignes en Suède, Claes Adolf Adelsköld qui rachète Steninge. Le château est en piteux état. Il le revend en 1873 au baron Oskar von Otter qui fera ériger l’immense grange en pierre qui surplombe le château. Bâtisse qui sera classée monument historique en 1979 et qui sert aujourd’hui de centre culturel.

Le baron cède à son tour la propriété au négociant Johan Bäckström en 1888, que son fils Rickard, qui en avait hérité, revendra à Albert Lindström, hippologue de son état, en 1905. Durant les deux ans qu’il possèdera le domaine, l’amateur de chevaux fera passer la superficie de 2 784 hectares à 948. Un vrai régime de cheval !

C’est le préfet de région G.B.A. Holm qui récupère Steninge en 1907. Il fera procéder à d’importants travaux de restaurations sous la houlette de l’architecte Isaak Gustaf Clason. Puis c’est au tour du marchand de biens Östen Schauman de jouer les châtelains de 1915 à 1932, époque à laquelle Wolfgang R. Thomas (un Américain) prend le relais. Le château est classé en 1969 puis racheté par la famille Andersson en 1976.

Le Groupe norvégien CG Holding, dernier propriétaire en date depuis 1997, transforme la grange en pierre en Centre culturel en 1999 (Grand prix du bâtiment en Suède la même année) et s’emploie consciencieusement à l’entretien et la rénovation des bâtiments et du parc.

Une baroquerie subtile

Autant l’extérieur des bâtiments est d’un grand classicisme (ne le dit-on pas inspiré du château de Vaux-le-Vicomte) avec un parfait ordonnancement des fenêtres notamment, autant l’intérieur (surtout le vestibule) frappe par son baroquisme italo-franco-suédois.

Le monumental escalier tournant en L à marches, balustres et main courante de pierre est pour le moins impressionnant. Qu’il faille descendre quelques marches pour accéder à la pièce ovale principale plutôt que d’y pénétrer de plain-pied surprend. La surélévation de l’escalier d’accès extérieur en est la cause (pourquoi faire simple quand on peut faire inextricable ?). Omniprésente, l’étoile d’or (gyllenstierna en suédois) rappelle les armoiries des Gyllenstierna.

Toutes les pièces du château : grande salle d’apparat ovale, chambre à coucher du roi, cabinet de travail, cuisine et autres remises au rez-de-chaussée, ainsi que celles à l’étage : grande salle ovale tapissée de cuir doré, galeries, chambres d’amis, etc., sont un patchwork de déco baroque italienne et française. Trop chargé pour le Français, tout en retenue pour l’Italien ! Bien que cette résidence fut d’été, chaque pièce possède son poêle en faïence, œuvres d’art uniques. Le mobilier n’est pas en surabondance, il y a ce qu’il faut, d’époque, mais sans plus.

Le sous-sol, qui n’a pas encore été rénové, est le témoin des conditions de vie aux 18 et 19e siècles, quant aux greniers, avec les chambres des domestiques comme ils les ont laissées, c’est une plongée dans l’ethnologie des gens de maison.

L’aile de la Reine achevée en 1685 est un pur joyau du baroque suédois du 17e, l’aile du Jeu de billard, plus sobre, l’est également. La terrasse balustrée d’où s’élèvent les trois bâtiments rend parfaitement cette impression de puissance recherchée.

Le parc est constitué de deux entités, une à la française avec ses parterres symétriques, ses allées, son labyrinthe et ses fontaines et l’autre à l’anglaise où la nature retrouve ses droits. Il est signé Johan Hårleman, architecte paysagiste à la Cour fin 17e, début 18e siècle.

Centre culturel

La grange classée, rénovée en 1997 et transformée en centre culturel depuis 1999, abrite une salle d’exposition de 1 500m2, un atelier de souffleur de verre, une boutique d’artisanat et un restaurant. Le verre est la spécialité de Steninge. Les expositions d’objets en verre d’artistes renommés sont d’une exceptionnelle qualité. Parmi les autres événements marquants, le marché de Noël est très prisé des Stockholmois. À noter également les activités horticoles, arboricoles et maraîchères du château avec la vente de produits.

À une demi-heure en voiture de Stockholm, Steningeslott vaut bien une excursion, ne serait-ce que pour voir où a séjourné Axel de Fersen et peut être se faire une idée de la véracité ou non du trésor de Steninge ?

Reportage et photos : Jean-Paul POURON

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