
Affirmatif, c’est colossal. Par contre, pas en un jour. Faut pas exagérer tout de même. Vous connaissez le proverbe : ‹‹ Un semla, ça va. Quatre ou cinq semlas, bonjour les dégâts ! ›› Et la panique dans les milieux médicaux, vous imaginez ? La Grande Bouffe de Fellini ou Le Sens de la Vie des Monty Python, à côté, ce serait de la gnognote.
En fait, si la tradition reste toujours aussi vivace, elle a tout de même évolué.
Alors qu’à l’origine, on mangeait des semlas uniquement le jour de Mardi Gras, aujourd’hui et, ce, depuis plusieurs années maintenant, on en mange de janvier à Pâques. Si je devais vous parler de ce sujet en chanson, je trouve que la plus illustrative c’est la comptine enfantine que voici : ‹‹ Oula ouli, Mardi Gras arrive. Ouli oula, les Semlas sont là ! Oula ouli, Mardi Gras se retire. Ouli oula, les Semlas restent là ! ››
Si je vous en parle en termes socio-économiques, je puis vous dire que cette évolution de nos habitudes culinaires est la conséquence d’une stratégie commerciale subliminalement efficace visant à nous inciter à la consommation. Quant à moi, je vous l’avoue sans la moindre honte mais dans le plus grand secret (ho, hé, soyez sympas ne le répétez surtout pas, à personne), j’en mange bon an mal an au moins deux ou trois voire plus si raffinité.
Je ne sais pas vous mais moi ce qui me fait craquer c’est surtout son petit chapeau bruni délicatement saupoudré de sucre glace. Et puis dessous, il y a aussi la crème Chantilly. Et encore dessous, il y a la crème pâtissière à la pâte d’amande qui se vautre au sein d’une brioche moelleuse délicatement parfumée aux senteurs de la reine des zingibéracées, la cardamome. Mums ! Quelle exquise descente dans l’enfer des calories ! C’est divin !
Tout cela vous met l’eau à la bouche, n’est-ce pas ? Et, comme vous êtes curieux, vous aimeriez bien savoir d’où nous vient cette tradition si agréable mais qui peut nous être si fatale ? Eh bien, savourez voluptueusement notre récit.
La tradition des semlas a, comme la plupart des traditions chrétiennes, des origines païennes et, comme c’est souvent le cas, c’est à Rome que tout a commencé. L’étymologie du nom, qui provient du latin simila lequel désignait de la farine de blé de la meilleure qualité, nous révèle que les Romains confectionnaient déjà des pains gourmets à l’occasion notamment des Lupercales à savoir les fêtes de la purification et de la fécondité qu’ils organisaient en février (du 13 au 15) en l’honneur de Lupercus, dit aussi Faunus, leur dieu de la nature et de la fécondité.
Cette coutume-là, tout comme les autres coutumes religieuses, se sont répandues aux quatre coins de la planète au gré de l’expansion de l’Empire romain et, au fil de sa chute, ont été récupérées par l’Église et assimilées en traditions chrétiennes. En ce qui concerne les semlas, il semblerait que seuls les Germains aient craqué pour le concept des pains gourmets dont on a retrouvé les moules en Allemagne, au Moyen Âge, sous le nom de semala. Et la consommation ne s’en est généralisée dans les pays nordiques qu’à partir du XVème siècle.
Dans la Scandinavie de l’époque et jusqu’au XVIIIème siècle, alors que l’Église a la main mise sur les us et coutumes, ces pains gourmets sont associés au Carême; ils ne se consomment donc que le Lundi de Carême et le Mardi Gras et uniquement dans les sphères de la noblesse et des riches notables car bien entendu le peuple n’a pas les moyens de se payer de la farine de blé. D’où leurs noms plus génériques, si l’on s’en tient au suédois, de bullemåndag ou de fettisdagsbullar.
Ces pains n’ont d’ailleurs pas du tout le même look que celui que nous leur connaissons aujourd’hui et ne consomment pas de la même manière. Au début, ce sont plutôt des pâtisseries style pompe à l’huile et ce n’est qu’à partir du XVIIIème siècle que le pain à la frangipane d’origine allemande fait son apparition sous le nom de hetvägg parce qu’il était bouilli dans du lait avant d’être servi.
En l’espace de quelques années, le hetvägg s’impose comme le must du Carême et tous ceux qui ont les moyens de s’offrir le luxe d’en consommer ne regardent pas à la dépense. Jusqu’à l’excès fatal...!!! Car les semlas ont au moins coûté la vie à une personne et pas n’importe qui, le roi Adolf Frédéric de Suède (le père de Gustave III) lequel est mort d’une overdose de ces délicieuseries le 12 février 1771.
Il n’avait certes pas mangé que des semlas puisqu’avant d’en arriver au dessert il avait quand même chatouillé choucroute, viande, navets, homard et caviar, le tout généreusement arrosé de vin et de champagne ! Mais tout de même. Que penser de tout ça sinon que, comme le dit si bien le proverbe, ‹‹ le gourmand creuse sa fosse avec ses dents ›› ! Ou que le hetvägg a été la cerise qui a fait exploser le gâteau !
Au XIXème siècle, la manière de manger les pains à la frangipane change. Ils ne sont plus servis bouillis dans du lait mais arrosés de lait et saupoudré de sucre et de cannelle. Et, au XXème siècle, sous l’impulsion des boulangers et des pâtissiers apparaissent les semlas modernes à savoir des pains à la frangipane recouverts d’une couche de crème Chantilly et coiffés d’un petit chapeau saupoudré de sucre glace. Dans leur forme actuelle, quoiqu’avec des variantes au niveau de la pâte et de la crème, les semlas sont aussi populaires en Suède, qu’au Danemark, qu’en Finlande ou qu’en Norvège.
C’est également sous l’impulsion des professionnels qui souhaitent bien entendu gagner toujours plus d’argent sur un concept qui marche que les semlas sont vendus à l’heure actuelle de janvier à Pâques. Toujours dans cette optique, ils ont aussi, dans les années 80 et 90, développé le produit et fait qu’on trouve aujourd’hui des semlas au saffran, au chocolat, à la vanille ou viennois.
La dernière mode étant les minisemlas. Quand on sait que les semlas se vendent entre 10 sek et 35 sek la pièce en moyenne, il est facile d’estimer le chiffre d’affaires que cela peut représenter. En outre, toutes les années, les medias en tous genres y mettent leur grain de sucre pour alimenter cette hystérie de consommation collective.
Chacun y va de son concours de semlas par quartier et par ville avec chasse au tuyau du meilleur semla et classement du meilleur semla; et avec des remises de prix et de distinctions au meilleur pâtissier.
Pour terminer, je vous signale que les semlas, on en parle même dans les rubriques records du monde depuis qu’un boulanger-pâtissier d’Alingsås, à l’occasion de la Bullfesten qui s’y est déroulée le 13 février 1996, a réalisé un semla géant de 113 cm de diamètre pesant 134 kg! Vous imaginez… le rêve! Que du bonheur pour les gourmands!
Moi, ce que je vous propose, c’est quelque chose de beaucoup plus cool : un concours de photos de semlas.
Envoyez-moi vos photos de semlas le 25 février dernier délai. Le 28 février, je publierai les 5 plus sympas sur Nord Quotidien.
Et puis, malgré les risques, rendez-vous quand même le mardi 16 février pour le premier semla de l’année…
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Publié le 14/02/10
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